jeudi 13 octobre 2011

Dans Mon corps Il Y A Des Arbres X



Idir

J'aime pas l'institutrice. C'est une vipère aspic : Madame Dupont-Lajoie.  Petite et sèche, la lippe serrée comme pour ne rien laisser échapper, elle croque tout ce qui bouge, c'est un soldat, elle se croit aux cabinets, et lâche sur nous tous ce qui ne vas pas pour elle, elle doit pas se marrer beaucoup. Je la déteste et je la craint, je ne sais pas pourquoi. Enfin, si : je n'aime pas me faire remarquer. Elle nous déclare la guerre souvent et son préféré, c'est Idir. Minimum une fois par semaine. Cela me retourne peut-être plus que lui, je suis pas sûre. C'est juste qu'après, je suis toujours malade, Idir, je sais pas. Mes lèvres sont cousues, elle me fait peur.

Premier jour, spéciale dédicace : toi, la nouvelle, tu te mets au premier rang, qu'elle me dit prête à en découdre : ici,  tu parleras à personne au moins. Elle m'aime pas. La table isolée juste en face de son bureau, c'est pour moi. Pas le droit d'être à côté de qui que ce soit.  J'ai rien fait, pourtant.

Je suis à la soupe, elle postillonne de ses injonctions de chef moulinette : tout me tombe dessus. Enfin, pas exactement, avant moi, il y a Idir.

Elle s'y croit, voici Cléopatre sceptrée d'une gouaille intempestive, elle est de mauvaise humeur.

Et, à la flanc, la voilà prête à se lancer sur son faux gaulois qui infeste sa belle maisonnée par la grande porte :

Idir ! Au tableau !

Elle prends son temps, se régale de sa petite intronisation pour cette nouvelle journée. Prends le temps de marcher dans la classe sans rien dire. Nous fait du suspens et réussira à nous foutre en l'air la récréation, après nous avons moins envie de nous marrer, nous n'arrivons pas toujours à recoller ces instants pour les souder tout de suite et sans effets à nos récréations les plus folles. Pas de soleil aujourd'hui.

Ce qu'elle préfère ce sont les belles journées où nous nous sentons bien et où nous sommes contents d'être entre nous. Sourire Éblouissant, Idir aime le foot, enfant joyeux et grande famille. A la récréation, ça tue, on s'éclate au foot, on rigole dans la cour de récré. Idir et son frère, ils ont des supers yeux, des yeux qui rient et qui comprennent. De grands cils Noirs autour des Yeux. Mort de rire. On se marre comme des fous dans les toilettes, on fait un foot, c'est interdit mais on essaie d'attraper le ballon et le frère d'Idir vire ceux qui m'importunent.

Elle, tu la laisses, il dit. Et l'autre y part. Cool.

Moi, j'aime bien Idir. 
Dès qu'il rit nous en profitons tous.

Enfin, là, c'est pas la joie. Idir est au tableau et la tenancière nous prépare son petit tour de manège :

- Tu t'es lavé CE Matin ?!

La tête béate de batracien de notre institutrice est prête à avaler n'importe quelle mouche qui passe.  Elle s'en donne à cœur joie. Se détends jusqu'à afficher une bouche géante qui s'étire autant qu'on puisse le voir et ses yeux ressortent de son visage bouffi de sadisme tandis qu'un large sourire déforme son visage. Il n'y en a pas une qui vole, de mouche, personne moufte : on est  la bande  à limaces. Pourtant, ici, personne veut  voir bouffer de mouche. Personne comprends, nous sommes mal à l'aise. Moi, j'ai la haine.

Idir se tortille bien, c'est sûr, c'est pas l'champs d'honneur sur l'estrade, et nous tous, nous aimons vraiment bien Idir. Il est très beau, boucles brunes et teint basané.

Il rigole un peu, manifestement pas surpris du traitement :
- Heu...
- Je t'ai posé une question : tu t'es lavé ou pas , CE MATIN ?
- Ben..
- Ben, quoi ?
- Ben, non...
- ah bon exulte t-elle : je le savais ! ET POURQUOI ?
- Ben, c'est que, on est beaucoup, mais je me suis lavé, hier soir, tente t-il pour se défausser du jugement des autres élèves et pour rétablir un peu de justice. Tout l'monde se dit : ça l'fait, hier soir...

- Ah oui ? 
- Ben, Ouais...
- Hier soir ? Montre tes mains.

Idir tends les mains en avant et elle examine entre chacun des doigts.

- Et là, c'est quoi, ça, tu le vois pas que t'es SALE !

- Pourquoi c'est toujours moi qui passe au tableau ? demande innocemment Idir, du haut de ses 7 ans, comme s'il était normal que cette place puisse peut-être partagée par un autre enfant alors que personne ne dusse jamais l'occuper.

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