lundi 3 mars 2014

Pendant Ce Temps Là, Il Y A Le Feu En Ukraine

Je me suis préparée, un haut super, noir à bleu paillettes, tout ce qui brille comme les arabes mais argenté, cuivre ou métal, je me suis mise sur mon 38 dès fois que tu te réveillerais, et aussi parce que, par dessus un gilet moto confortable qui n'allait absolument pas avec le reste mais c'est pas grave, mascara basta, choisi mes meilleures chaussures en me disant que j'aurais mal au pieds, faut souffrir pourquoi pas, écrit tout le trajet dans ma tête, du bleu sur les yeux, jamais n'est coutume, et au lieu de séquestrer mes cheveux dans un chignon, je les ai laissé libres, marché la tête à l'équerre, parce que ça venait comme ça, droit au sol les yeux, je ne pouvais pas les relever, trajet habituel pour deux heures de route, de celles qui m'ont toujours amené du réconfort mais qui ici sont une autre destination, presque la même et pourtant, j'ai marché tranquillement sans me presser, je savais que je m'arrêterais en arrivant, je me demandais comment tu serais, j'ai dit au petit ce que tu avais, et il m'a regardé droit dans les yeux, l'air de dire mais qu'Est-ce que tu dis, je fais quoi maintenant, ensuite il à voulu faire une loi pour empêcher ceux qui coupent les branches des arbres de le faire parce que la télé à dit que c'était pas bien, je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai mis des mi-bas, c'est vraiment pas moi et je l'ai fait, mis mes deux bijoux les plus, plastiqué le visage avec du fond de teint, c'est pas moi non plus, et bien si, je me suis amenée à la coule, mais je savais que ça le serait pas, j'ai déposé la mandarine de mon petit déjeuner derrière un homme allongé dans le métro qui dormait les mains entre les jambes avec deux énormes sacs contre le mur, je me suis dit qu'il me fallait un clavier sinon, je ne peux pas respirer, toi non plus tu respires pas, j'ai fait ce trajet tellement de fois, pour venir, je me suis souvenu que tu était le seul avec qui je pouvais attraper les barreaux du métro aérien dégueulasse et me coller dessus pour regarder le métro arriver et profiter du déplacement d'air, j'ai toujours aimé le vent, je te demandais souvent qu'on en laisse passer 3 ou 4 mais au quatrième tu disais, non, elle va nous attendre, il faut rentrer, ensuite je devais me laver les mains en vitesse, toujours un peu noires, c'était affreusement dégueulasse, j'adorais me coller toute entière contre les barreaux, entre nous il y a toujours eu ce satané métro, et avec ceux qui comptent pour moi il y a toujours eu des trains, je n'ai jamais compris pourquoi, je ne me le demande plus, je le sais, je crois voir vaguement d'où cela pourrait venir, je me suis aperçu hier soir que je devais absolument aller au Japon, ça y'est c'est décidé, c'est sûr, je ne sais pas pourquoi non plus, j'ai vu passer une fille sur le quai menton tellement haut pour afficher supériorité et je me suis marrée comme une malade mais à l'intérieur, elle avait les cheveux mi longs, complétement frisés comme un mouton, j'ai dit redescends ma grande tu vas te péter les cervicales, mais évidement, elle pouvait pas entendre et chevauchait le quai en faisant claquer les talons comme un cheval, c'était le même trajet, ce pilier pour moi, depuis toujours, pourtant je ne m'y suis pas appuyé autant que ça parce que je voulais trouver l'équilibre toute seule, mais pourtant tu étais là, quand j'ai traversé la rue une camionnette moutarde voulait passer avant moi mais ce matin, je détestais cette couleur et je lui ai grillé le chemin, c'était à moi de traverser, le vent s'engouffrait et longer l'allée, s'arrêter, machine à café, me dire merde, il faut que je monte vite et quand même prendre le temps de boire ce café et de repasser un coup de fil, me demander si tu seras vivant, prendre l'ascenseur pourri avec les plaques au dessus qui se cassent la gueule, monter, porte, bonjour, faites pas chiez me regarder pas, j'ai pas envie de vous voir, perdu le numéro de la chambre, me dire, j'espère que tu y es pas encore à la morgue, me dire que je ne pourrais pas ne pas écrire en rentrant et savoir que d'autres trouverais cela indécent, me souvenir du Voile Noir*, et combien cela m'avait aidé et été une passerelle de compréhension vitale, et que cela se dissoudra dans une conscience ou une autre et se dissociera aussi de moi, que ce n'est pas grave, que certains aimeraient te donner des pilules pour que tu pleures pas ou que tu ne ressentes rien, parce qu'ils ont peur d'entendre ou de voir, parce que cela est trop pour eux, alors ils voudraient tout boucler, te trouver comme tu es dans une chambre pourrie ou on a mis une vague illustration d'un chat à qui on aurait filé une belette empoisonnée et qui serait prêt de dégueuler, c'est bien vu, les murs sont immondes, tout est nul autour, couverture de survie mais putain, il n'y a pas autre chose bordel, ne saviez vous pas que les draps et les couvertures parlent, que dans la douleur un drap juste par son contact peut vous alléger la douleur, que le marteau piqueur dehors est indécent, que le mec qui vient arracher une double prise sans précautions pour rebrancher le glucose et le reste, et que j'avais envie de lui filer des claques, je suis contente d'être là, d'habitude je n'ai pas de mal à pleurer quand il faut mais là, non, c'est comme ça, je voudrais être là tout le temps et ce n'est pas possible, si tu étais réveillé tu m'aurais demandé comment j'allais, combien de temps j'aurais mis, si le trajet était bon et quel chemin j'ai pris, je leur ai demandé de faire attention quand ils te déplaçait c'est trop douloureux, je suis contente d'être ici c'est vrai, je me sens bien d'être là et je viens volontiers, si je pouvais faire du 24/24 je me serais abonnée jusqu'à la fin, c'est ce que je ne voudrais pas, te laisser seul là-bas, et surtout que tu gardes la pleine conscience au moment de ta mort, qu'il ne te shootent pas, qu'ils ne fassent pas n'importe quoi, il y a quelqu'un qui hurle, tu ne peux plus mais avant ils te filaient du café au lait alors que tu détestes, je leur ai dit que c'était café noir sinon rien et que filer une grenadine juste après c'était quand même loufoque, je crois que rien que l'idée me donne envie de vomir, depuis que tu ne veux plus manger, moi non plus je n'ai plus faim, sauf hier, je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai repris du hoummos, 2 fois avec des piments doux, un verre de punch citron vert, et même du vin qui était super bon, j'ai mis les mains sous la couverture de survie tes mains étaient enfin chaudes et mes mains sur ta tête et tes tempes, j'ai vu quand tu avais mal et j'ai fait en sorte que tu te détendes en posant mes mains sur ta tête sur tes poumons, je t'ai embrassé, je suis de la sorte qui n'a pas peur des odeurs car quand l'amour te prends tu aimes les gens avec les bonnes et les mauvaises odeurs, le lien d'amour s'infiltre dans chaque cellule, et puis il a fallu que je parte, j'ai eu froid en partant, le vent était glacé, somnambule, traverser, retraverser la ville en sens inverse, le chemin du retour est tantôt plus rapide tantôt plus long, je ne sais pas si je pourrais encore faire le chemin en sens inverse, les autres arrivent juste après moi, le petit à dit je veux aller au cercueil et mettre plein plein plein de fleurs pour toi parce que tu es son grand adoré, je lui ai répondu que tu n'étais pas encore mort mais tu parles, il sait, il n'arrête pas de m'embêter, il veut venir au Japon mais voudrait aussi faire l'Egypte, ce qui ne me dit rien, moi c'est Japon et Afrique du Sud, je me rappelle que je t'ai interrogé comme une malade pendant presque 30 ans et que je n'ai percé le secret que longtemps après, je te demandais toujours de me serrer la main très fort, ça fait chier de te voir comme cela, je vois bien que c'est pas le bon endroit qu'il manque des choses mais en même temps tu as la chance d'être entouré, j'ai froid, je sais que je vais bientôt pleurer et je ne me fais pas de souci, il se jour là quelque chose de fondamental, et je suis heureuse de pouvoir être présente chaque fois que je le peux, je t'adore tu le sais déjà, je pleurerais c'est comme ça, je te vois, recroquevillé sur la douleur et la peur de mourir, je te vois démuni et vulnérable et rien de cela ne m'enlève de te regarder et de voir ta grandeur, je t'aime, j'ai vraiment envie de vivre, je suis heureuse que tu m'offres ces derniers moments avec toi, je sais que tu le sais, je me suis dit au début que je voudrais que tu ne souffres pas, je me demande en même temps en quoi la souffrance est une prise de courant pour la compréhension, je te remercie d'avoir été si longtemps près de moi, tu es le seul à avoir toujours regardé mes chaussures avec compréhension, même au temps des godillots, il n'y a que toi qui à compris.

*Le Voile Noir, Anny Duperey

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire