jeudi 31 mars 2016

ALORS

Envoyer de très belles fleurs à sa mère à chaque anniversaire; des chrysanthèmes, oui, afin de lui rappeler combien il l’aimait, dans les tons les plus mauves délavés, à moitié pourris car récupérées dans un cimetière peu fréquenté ou l’absence de gardien lui permettait de le substituer sans risques d’être soumis à la honte de profaner les non vivants, un point de vue peu défendable auprès du commun des mortels selon lui: elle pourrait aisément les replanter dans le jardin, et comme elle était née en automne, les lui offrir vifs et brillants n’avaient aucun intérêt puisque l’hiver arriverait immanquablement, aussi il salivait à l’avance de les savoir voués à la décomposition rapide, le sujet le plus important de ces recherches, le stade le plus aimé de ses expérimentations et de ses amours temporaires, avec la musique et la transmission des renseignements : une activité que personne ne pourrait jamais supposer venir de lui. Il trempait dans les bas-fonds, tout en étant un enquêteur hors norme et un personnage utile pour faire horreur à la gent féminine, même celle d’une prostitution peu regardante à la clientèle, et bien sûr, alignée sur les prix les plus bas. Ce matin là, il s’était félicité d’avoir pu la veille, obtenir une pipe négociée à 30 euros, un prix qui lui apportait pratiquement autant de jouissance que la nature de l’acte en lui-même, bien qu’il eut regretté que la fille n’y ait pas mis un peu plus de cœur alors qu’il avait quand même fait l’effort de se laver un mois plus tôt, pour paraître plus convenable à ses yeux. Du moins un peu plus que pour la dernière fille fréquentée, ce surtout pour pouvoir obtenir une remise fort méritée de son point de vue : toujours radical en matière de goûts.


De plus, le chrysanthème était aussi anti insectes, donc, il préférait les destiner à sa mère : garder les bêtes qui vivaient chez lui en vie et en vie puisqu'ils cohabitaient intimement et d’un commun accord qu’ils se rendaient les uns, les autres. Il avait même tenté d’installer un vivarium, récupéré dans une benne, un peu fendu en son milieu mais parfaitement ajustable à d'autres fonctions, comme la majeure partie de ses biens, si petits fussent-ils. Certes, le vivarium était destiné aux fourmis mais il était pour l’adaptation du milieu à l’environnement et de l’environnement au milieu, aussi avait-il œuvré à la défaveur des voisins mais pour ne sacrifier rien de vivant qui l’approcha. Il partageait donc sa cuisinière à gaz avec les bestioles, ce qui leur évitaient pour la plupart de courir et de loger dans la literie :

Une literie remarquable par rapport à toutes celles qu’il avait eu jusque ici; trouvée sur le capot d’une vieille 104 bleu fagot, presque neuve et fraîchement lavée, envolée d’un balcon ou elle séchait probablement, la housse de couette avait été un ravissement quand il y avait passé sa première nuit, il en était férocement content et même fier devant les rares visiteurs qui avaient eu le droit de pénétrer chez lui : elle n’avait pas quitté son sommier depuis un an, une faveur qu’il n’accordait pas même à une femme ou une copine, car il n’était pas trop partageur. Son sommier, hélas, n’avait pas reçu le don divin de la récupération, sommier sur lequel il dormait mieux que n’importe ou ailleurs, creusé par le trou que formait son corps en son milieu, rehaussé par la tristesse d’un linge peu recommandable pour l’honorer qu'il affectionnait : il habitait ses vêtements jusqu’à ce que mort s’ensuive et ainsi, s’en séparait uniquement avec une tristesse inouïe, et son sommier il l’aimait encore presque plus que sa housse de couette, car il était resté tel quel, emballé dans du plastique, jamais ouvert, volé dans une allée avec un de ses potes qu’il avait réussi à convaincre contre deux places d'un concert improbable d’une valeur de 300 euros. Le pote avait fini par l’avoir mauvaise car il lui avait imposé un duo mais en le lui signifiant uniquement une fois le sommier déposé devant sa porte : il fallait bien qu’il se paye lui aussi le fait de porter le sommier seul de la porte à l’intérieur de sa chambre, un studio en réalité, enseveli au point qu’il avait refusé de laisser entrer cet ami qui ne le resta pas.

Alors cultivait chaque détails avec minutie et prenait donc soin chaque matin de sortir du lit en y restant, de façon à pouvoir avaler un café noir sans sucre, encore assis dans ce lit car il dormait juste devant la vieille cuisinière qu’il n’avait jamais lavée non plus et qui était reliée à une bouteille de gaz qu’il économisait au maximum de ce qu’il pouvait, comme il le faisait avec tout ce qu’il rencontrait et comme il le faisait avec presque toutes les fonctions de sa vie.

Il ne pensait pas qu’on puisse le taxer de minimaliste : il se trouvait vernis et il savait que personne ou presque ne pouvait comprendre quel type de vernis était des plus seyant.
Certainement pas celui des plus hautes sphères.

Il était châtain très clair et il détestait qu’on lui dise qu’il soit blond, ou châtain; il fallait dire châtain clair. Personne n’aurait pu soupçonner le type de renseignements qu’il était capable de soutirer à n’importe qui, dans pratiquement tout contexte : peut-être parce que le voir subtiliser les épluchures de pommes blettes dans la cuisine d’une copine, chez laquelle il était invité pour un apéro, pour les croquer rapidement afin de ne pas les destiner aux poubelles, heurtait la sensiblerie des moins compréhensifs qui le catégorisaient aussitôt.
Parfois s’il avait le temps et toujours en lousdé, il retirait des mets insoupçonnés des poubelles qu’il trouvait subtils et merveilleux, et même découvert en train de gratter une cuisinière sale avec un couteau autour des feux et de ramasser les détritus cramés ou d’y essuyer du pain dans la graisse collée (il prenait soin de faire chauffer la bouilloire en feintant de vouloir lancer une tisane, ce qui faisait quelque peu sourire puisque le blanc était ouvert, ce avant tout, afin de pouvoir décoller celle-ci, cette vieille graisse qui selon les appartements pouvait être de putride à fraîche, en effet la décollait plus facilement que ce soit la sienne ou celle de ses amis en versant de l'eau en très petite quantité autour des feux, comme le jus d’un rôti fraîchement sorti du four, toutefois découvert et à découvert, il se tenait droit comme un empereur romain victorieux et affichait un sourire merveilleux, si bien qu’il arrivait à déstabiliser l’ennemi au point qu’il batte retraite parmi les convives, et de ce fait, évite toute discussion explicative : en effet, il semblait alors vraiment ne pas avoir pas le profil d’un indic de premier ordre, Alors. Et passait donc, une nouvelle fois, à travers les mailles du filet comme de de nombreuses autres occasions.

Après le café il attrapait la télécommande, toujours au pied du lit et ouvrait sa planche de salut : une prouesse de technicité informatique d’un mètre cinquante sur 55 centimètres, camouflée de l’intérieur d’une bibliothèque qui s’ouvrait sur codes et commandes uniquement pour son propriétaire, par résonance olfactive associée, entre autres.







C'était un vrai jour de fête, de ceux qui brûlent comme une brindille, d'un éclat qui semble particulièrement bénéfique mais qui ne dure que le temps qu'on se décide à y consacrer. Lorsqu'il est là, on ne le voit pas bien et quand il s'est en allé c'est une saveur insoupçonnée qui s'évapore à jamais, parce que le feu à brûlé si vite qu'il n'a pas pu prendre. Ou bien il nous à tellement consumé. Au fond, l'intensité semble anecdotique mais elle véhicule des particules sans querelles, sans rien qui ne puisse être aussi beau car ultime et si l'on sait s'y soumettre sans pourtant que rien de soi n'y soit soumis cela peut monter très fort et très vite et l'atterrissage n'est jamais des moindres, cela ne présage rien de particulier si ce n'est qu'à cela on ne puisse que se soumettre comme étranger à ce qui se passe à l'intérieur du corps, qu'il fredonne, somnambule, ou bien se trouve dans un silence total, une possibilité invraisemblable du manque, une disposition nouvelle à aimer les courants d'air, être agenouillé et tenu d'une main ferme, oppressante et douce.
Elle releva la tête et se trouva à l'improviste les yeux dans les siens, il la regardait sans galanterie, d'un air légèrement différent de ceux des autres, cela dura assez pour qu'elle fût envahie d'une douce lumière, elle hésita quelques secondes, intriguée de ce regard direct impressionné d'un climat calme et bienveillant effleuré d'une pointe d'observation amusée qu'elle imagina plus en lien avec ce qu'elle portait qu'elle même, n'empêche, il la déstabilisa par un accueil évident dont elle n'avait l'habitude, il y avait vraiment quelque chose de particulier au point qu'elle repensa à lui encore pendant quelques jours, juste après avoir voulu se dégager en lui faisant focaliser presque immédiatement son attention sur autre chose qu'elle, ce qu'elle savait très bien faire et au moment de sortir, alors, elle le vit en face d'elle en pleine conversation avec une petite femme brune, qui devait partager une certaine proximité avec lui, et elle se détourna tout en ressentant une impression qu'elle savait plus ou moins annonciatrice, tout en se disant :

- Putain, merde, fais chier.
De plus, il était grand, et avait d'la gueule. Et, elle ne se trompait que très rarement. Dégoûtée, elle tourna les talons, et détala.






Selon ALORS, la Presse féminine italienne dégommait allègrement la nature même des tentations féminines françaises proposées par journaux de merde interposés (distribuée à une population ayant souscris des assurances  sur la décompression neuronale proche du taux moins cinq cent au dessous de zéro). Il fouilla amoureusement la cour intérieure, rayon journaux et papier, tri sélectif afin de trouver un deuxième exemplaire de celui-là qui intéresserait sa nouvelle copine, laquelle refuserait de baiser mais l'accepterait dans la maisonnée au moins pour une nuit, à condition qu'il arrive à l'entourlouper sur les motifs de son intrusion. Il se pointa à 22 heures tapante à l'appart, (avec une bouteille de vin trouvée chez l'épicier d'un coin qui faisait dans la récup de vieille bouteilles introuvables au goût car elles avaient si bien macérées on ne sait ou que cela leur conférait une note particulière, et à force de comparer le prix avec le goût, le vin finissait par être plus qu'acceptable, bon, et même presque excellent si l'on se mettait au diapason d'ALORS et de ses manœuvres dialectiques ubuesques : il était un conférencier hors norme. Quand vous n'aviez pas envie de parler, il le voyait tout de suite et soit qu'il décida de vous faire une fleur, il vous entraînait alors dans une folle nuitée, terminait les phrases à votre place, vous promenait sur n'importe quel terrain, fusse t-il totalement inconnu, sur un plateau sauvage pour un concert improvisé et évidement sauvage par un groupe de dub montant qui allait se faire fouetter de bonne musique au vent sur une chevauchée de substances illicites.), bref, pour l'heure, la fille en question failli s'étrangler quand elle vit le sourire du Chat d'Alice transparaître derrière la fenêtre de la salle à manger : ALORS était passé par la façade extérieure, premier étage car elle n'ouvrait plus la porte depuis quelques temps, et rien ne saurait jamais décourager ALORS de ses buts premiers. Elle le fit entrer, et lui passa un savon. Prenant l'air le plus abattu possible, lequel lui allait comme un gant, il lui soutira un thé brûlant et failli se retrouver dehors parce qu'il estimait que Le Yunnan n'équivalait à rien d'aussi sympa qu'un thé noir fumé, et que sans un triple, il fallait vraiment en vouloir pour la soutenir et lui tenir compagnie. 


La fille s'était amenée en milieu d'après midi, perchée sur des talons rouges qui lui allait aussi bien que si elle avait porté une cagoule en laine vert fluo sur une plage en plein soleil, elle avait frappé à la porte, le sourire accroché au visage comme sur un porte-manteau dans un deux étoile miteux repeint en laqué rouge piment déphasé et plus ou moins seyant sur les lèvres mais surtout quelque chose qui sonnait aussi bien que quand tout sonne faux. Sa jupe lui arrivait à trois centimètres de l'entrejambe : elle était passé d'un look préadolescent à celui de quelqu'un qui semblait avoir négocié sa féminité au rabais. Néanmoins, elle affichait une condescendance qui frôlait le pseudo sympa, lequel donnait parfois le change à certains de ses interlocuteurs privilégiés. En attendant, elle regardait les autres avec une interprétation toute semblable à la prétention de s'imaginer comprendre qui elle avait en face d'elle. Un œil acerbe et crevé apparaissait au dessus d'un trait de khôl épais : elle s'entraînait à tapiner depuis moins de deux semaines. Mais deux semaines plus tard, elle aurait passé l'arme à gauche. En attendant, elle s'amusait plus ou moins à se tourner vers d'anciens amis, comme pour essayer de raccrocher. 

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