vendredi 21 août 2015

Le Gardien

A cette époque je ne donnais pas grand-chose de la vie d’un cheval, qui servait à rabattre des hommes et à les parquer dans des enclos grillagés d’où personne n’avait le droit de sortir. Il y avait eu les incidents et ensuite, comme de bien entendu, les enfants avaient été enlevés. Leurs parents n’acceptaient de survivre qu’à cette condition : avoir un espoir de les retrouver avant la mutation, une mutation dont on parlait et dont personne ne connaissait le contenu.

Ils enduraient péniblement des heures de travail au soleil, des heures à construire des remparts avec des projections concentrées afin d’amener les fils qui descendaient du ciel vers leurs brèches pour rejoindre le clan disparate des échangeurs d’âme. Ce qui ce passait ensuite nul ne le soupçonnait. Les enfants au matin, n'étaient plus présents.

Le ciel s’obscurcissait toutes les deux heures et pour ceux qui avaient eu des parents prévoyants des possibilités de renaissance dans une autre dimension devenaient concrète à la faveur de leur disparation. Mais personne ne pouvait croire réellement à ce qui se produisait maintenant car le changement avait eu lieu si rapidement, que tous ceux qui étaient quelque peu plus instruits aussi bien que les autres comprenaient qu'une période d'obscurantisme aussi sobrement menée n'était pas naturelle et ne pouvait pas ne pas avoir d'objectifs malheureux. Cependant, ils avaient les mains liées et ne pouvaient qu'être des catalyseurs d'énergie. Et céder aux obligations.

La frénésie qui s’emparait de ceux qui commençaient à monter était décelable et ils étaient chassés comme des proies par des hommes et des femmes montant comme des flèches des chevaux utilisés jusqu’à épuisement, puis parqués ailleurs leur disait-on : les places étaient chères. Pour ceux qui ne pouvaient survivre qu’en décimant des populations entières, afin de s’arroger le droit à la vie, rien ne comptait plus que de dominer par la mort : tuer assurait une légère différence dans les composants chimiques qui préexistaient pour l'ascension que tous voulaient. 

Si chacun tentait de stopper l'ascension de certains, les chevaux obéissaient immanquablement aux ordres et personne ne pouvait en comprendre ni la nature ni les fins d'une infrastructure incompréhensible dont tous ignorait l'histoire. Certains en tuaient d'autres pour que les possibilités ne soient pas restreintes, ainsi une fausse tranquillité se manifestait dans les corps, trop peu de temps pour jamais être rassurante.  Personne ne savait plus pourquoi de telles pratiques existaient. Peu cherchaient réellement la réponse au vu des résultats connus.

Personne ne donnait plus jamais à boire aux chevaux non plus : ils étaient élevés pour la chasse, nourris au minimum pour leur donner de la force vitale en extension croissante. Juste avant de mourir toutes leurs attaches visibles tombaient au sol avant qu'ils ne s’affalent brusquement, même pendant une partie de chasse. Car chacun, même les animaux, étaient pourvus d'un ancrage, qui permettait simplement de rester en vie, au seuil le plus minimal de l'état de vie. Des lueurs plus ou moins translucides occupaient chacun des organes vitaux, ainsi que d'autres filaments qui se laissaient voir de temps à autres. Quand les chevaux mouraient, ils étaient laissés sur place et disparaissaient sans qu’on ne voie ce qu’il pouvait advenir de leurs carcasses ni qui en utilisait les restes ni même à quoi ils auraient pu servir. Cela restait dans le domaine de l'incertain, et même s'il y avait eu des épieurs, aucun de ces amateurs n'en étaient revenu vivant, ils avaient disparu avec les chevaux.

Le petit homme était vêtu tout de gris, en costume trop grand et le soleil de plomb lissait ses rides sur lesquelles l’eau produite par son corps s’écoulait comme si la peau de son visage n’était que rigoles microscopiques, à débit translucide et à peine perceptible en surface cependant qu'à son contact l'état se modifiait. Il dégageait de l’eau, et de ce fait les plantes s'étaient mises à pousser autour de lui, contre lui et à se déplacer dans son sillage. Peu tentaient la première et unique option qui était celle-là même de le respecter, quoiqu'il en soit.

Ses cheveux toujours noirs, chasseur incontesté, le vieux observait les moineaux calfeutrés dans la végétation qui se déplaçait en même temps que lui, ramassait de petites pierres sur le sol aride et sec et les tirait lestement à la main, les atteignant à chaque tir d'un seul coup. Les moineaux tombaient alors au sol raides morts, ainsi les avalait-il d’un coup : juste après les avoir fait griller au soleil, posés sur un rocher pendant 1 heure   environ, alors fins prêts pour qu’il les gobe comme des œufs. C'est ce qui lui procurait de l’eau dans le corps et concourait à, un étonnant circuit.

Hormis celui-là, ce qui se produisait au dessus, pourquoi les enfants disparaissaient et pourquoi toujours une chasse à l'homme se livrait à cheval afin de livrer des corps parqués en enclos, utilisables comme des lampes qui se réunissaient au même endroit, avec un seuil de souffrance exacerbé pour pouvoir servir à des buts jamais clairement connus : nul ne le savait encore, nul ne saurait si les explications ou la connaissance serait un jour partagée.

Un guerrier barrait la route.



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